Aretez d'en demander trop aux candidats

Recruteurs, stop. Arrêtez d’en demander trop aux candidats.

1 décembre 2021 |
L’idée que les candidats doivent vendre leurs âmes pour trouver un emploi a assez duré. Et seuls les recruteurs peuvent faire changer la donne.
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Mick Nertomb

Content Manager, YAGGO

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C’est un déséquilibre qui s’est érigé comme le symbole des disparités entre ceux et celles qui cherchent et ceux et celles qui proposent, et, très franchement, il a assez duré. Il faut dire que cette idée -que l’accès à l’emploi est barré par un gardien principalement sensible aux plus grandes démonstrations de résilience- est un mal qui ronge l’industrie avec minutie, créant une atmosphère nocive qui plombe candidats, recruteurs et entreprises.

Dans un futur pas si lointain, un candidat se réveille, et, sur le chemin des offres Indeed ou Monster, parcourt un feed d’actualités professionnelles bourré de ce genre de contenus :

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Sans trop sourciller, il scrolle machinalement jusqu’à tomber sur ce qu’il recherchait au préalable. La force de l’habitude.

Il faut dire qu’à un moment, que l’on ne peut pas trop localiser précisément, il y a eu comme un étrange passage de relais. Du genre abstrait et conceptuel, avec un coureur qui décide de faire un 180° à la réception du bâton.

Un changement de dynamique dans le monde du recrutement qui cherche désormais à se couvrir le plus possible, même si cette protection se fait au détriment des candidats.

Parce que bon, lorsque l’on parle de “marché” du travail, l’intention derrière l’analogie est en fait totalement littérale. Comme dans la vente, il y a l’offre, et la demande. Et quand la deuxième surpasse la première, la valeur du produit explose, tout comme les facilités de l’accès à celui-ci.

Cela engendre des situations un poil ubuesques, où l’obtention d’un simple poste alimentaire devient un parcours du combattant réservé traditionnellement aux embauches des profils les plus stratégiques.

Surenchere Candidatures 2

Candidats et recruteurs : le rapport de force

Le problème, c’est qu’une fois plongé dans une rhétorique infernale dans laquelle on demande toujours plus d’efforts aux mêmes personnes (pour faciliter le travail de celles qui les embauchent), on ouvre la boîte de pandore. Sans se soucier des conséquences sur le long terme.

Or, le fait de toujours augmenter la pression mise sur les candidats a un impact sur pas mal de choses :

– Cela confirme, et vient enfoncer davantage le déséquilibre candidat-recruteur, basé sur l’idée que les premiers sont au service des deuxièmes, et que leur temps n’a (quasiment) pas de valeur
 
– Cela crée une compétition, une course à la surenchère qui n’aide personne (mis à part les influenceurs Linkedin qui voient dans le désespoir une forme de ténacité inspirante)
 
– Cela crée des syndromes “d’entreprise-reine”, légitimant les demandes les plus folles pour des postes normaux, qui trahissent une vraie incertitude et une peur viscérale de se tromper
 

– Cela déresponsabilise le recruteur, et tend à effacer une composante fondamentale de son métier : sa capacité à déceler le potentiel

Donc oui, de prime abord, on se dit que blinder une offre ou un processus de recrutement est une sécurité, en plus d’un filtre.

Alors qu’en réalité, cela ne fait que montrer aux candidats le manque d’assurance de votre entreprise, votre vision du recrutement, et l’absence de confiance accordée aux équipes RH.

Rien que ça.

Not So Human After All

Première tête de l’hydre : la perception de la condition du postulant en recherche active, par les entreprises et plus globalement l’univers du recrutement.

Cela donne un peu le cafard, mais majoritairement, le candidat moyen est perçu comme une ressource inépuisable. Il y en aura toujours pour postuler.

Pire, étant dans une situation précaire, il est normal qu’il se plie en quatre pour décrocher un CDD au smic à 100 kilomètres de chez lui.

“Mec, tu es au chômage, normalement tu n’as rien d’autre à faire que ça, c’est honteux que tu oses te plaindre”

Je me souviens d’un échange de mails, il y a quelques années, qui illustrait assez parfaitement cette situation : à la suite d’une candidature, je recevais un message automatique me proposant d’effectuer, dans un délai indécent, une série d’exercices pour continuer le process en bonne et due forme.

Il y en avait pour facilement une journée de travail.
Sans rémunération, sans assurance que cela mène à quelque chose, sans certitude que le travail effectué ne sera pas simplement utilisé par l’entreprise.

En déclinant poliment l’invitation, la réponse fut cinglante. Quelque chose dans les eaux de “Mec, tu es au chômage, normalement tu n’as rien d’autre à faire que ça, c’est honteux que tu oses te plaindre”.

Sauf que je ne pointais pas (encore) à Pôle Emploi : j’étais freelance (donc une journée complète de travail perdue était un vrai fardeau), pourtant, même si cela avait été le cas, l’argument serait resté scandaleux.

Scandaleux car révélateur. De la déshumanisation de quelques process et méthodes, où le candidat est perçu, jusqu’à l’embauche, comme une donnée.

Et quand on considère un humain comme une statistique, on construit une expérience de candidature basée sur la data et la performance, sans s’arrêter sur le ressenti.

Et cela se paie.

Durée entretien

Le fait est : les entreprises doivent apprendre à timer leurs processus de recrutement. Y aller crescendo pour créer une progression, une montée en puissance, une affinité progressive. Une sorte de pyramide inversée.

En demander trop dès le début ne filtre pas les moins motivés, cela filtre tout le monde, même les meilleurs prospects.

Un constat déjà établi par les experts de l’optimisation des processus de recrutement.

📚 Pour approfondir

Candidat échange rein contre poste en CDI

Vous avez sûrement vu passer l’info : pour obtenir un stage, un étudiant pose un “CVPV” sur le pare-brise d’un dirigeant.

Si vous avez été charmé par cette initiative, que vous pensez qu’elle démontre la motivation du candidat, et que ces actes doivent se multiplier, pas de chance : vous faites (probablement) partie du problème.

Car avant le résultat, il faut se plonger sur la raison d’être de l’acte.

Pourquoi ?

Parce que les profils sans grande expérience ni diplômes ronflants sont systématiquement mis de côté. Oui, même pour des stages.
Le seul moyen pour remédier à ça passe alors par des actes désespérés et grandiloquents, pour flatter les personnes et les institutions derrière l’accès à l’emploi.

Mais en fait, cette candidature, ce n’est pas l’expression d’une créativité hors pair, c’est un véritable appel à l’aide.

Moi aussi, j’existe

Sauf qu’en ignorant le problème sous-jacent pour se féliciter, valider et légitimer ces agissements, on crée une compétition malsaine, non-inclusive et destructrice entre les candidats.

Un défilement hyper pragmatique de faits divers regroupés sous une intention unique : celui ou celle qui ira le plus loin pour se faire remarquer.

En grève de la faim pour trouver un CDI
Trouvez-moi un contrat en alternance et gagnez 1600€
Il offre un iPad contre un emploi en CDI
Il envoie un CV vidéo à une entreprise et gagne le prix Nobel du malaise en 2006

Encore une fois, la différence d’interprétation entre les différents canaux (globalement  Linkedin et Twitter) tend à encore plus prouver l’incroyable déséquilibre qui s’est établi entre postulants et recruteurs.

Surenchere Candidatures

La vérité c’est que trop peu de RH savent réellement ce que les candidats veulent (des process clairs et courts, des échanges sincères avec les équipes, des interactions humaines…), et ne veulent pas (le recrutement par IA, la gamification, les candidatures vidéo…). Ce qui est attractif à leurs yeux (une rémunération pertinente, un cadre de travail serein, des avantages qui ont du sens), et ce qui ne l’est pas (une table de ping pong, des hamacs, un abonnement Spotify).

À ce stade, nous sommes à deux doigts d’arriver à un concept de “À la recherche du nouveau salarié” ou “Collaborateur Academy” : ou un panel de RH sarcastiques jugeraient un défilé ininterrompu de candidats proposant spectacles de claquettes, imitations de célébrités ou ventriloquisme et pour décrocher un CDI dans la finance.

Un futur qui ne pourra être évité que par une remise en question.

Pas de Bac+5, pas de chocolat

Honnêtement, personne ne naît naturellement diabolique.
Il n’y a pas de mauvaises intentions, que de mauvaises méthodes.
Nature contre nurture. Tout ça.

Personne ne se lève le matin en se disant “Aujourd’hui je vais terroriser mes candidats”.

Jeff Bezos peut-être, il y a quelques années. Sinon personne.

Derrière les parades et la surenchère, derrière la recherche absolue de la perle rare se cachent des entreprises terrorisées par le fait de recruter la mauvaise personne.
Alors elles sécurisent le périmètre avec garde-fous, caméras et vigiles en costard : bac+5 minimum, une grande école, de l’expérience, des résultats probants, un test antigénique négatif et un bilan sanguin qui rendrait jaloux un marathonien.

Et, d’un côté, je les comprends.

Un recrutement raté coûte cher. Très cher. Tellement cher -en temps et en argent- qu’aucune boite ne veut revivre ça après avoir goûté à ce dessert empoisonné.

Le problème, c’est que ce doute est visible de l’extérieur.

Google a lâché une bombe dans la blanquette : le fait de mener trop d’entretiens n’a que des effets négatifs.

Lorsque je tombe sur une annonce qui, fièrement, détaille un process long comme le bras, avec plus de checkpoints qu’à l’aéroport, la conclusion est évidente : cette boite ne sait pas recruter.

Elle est tellement peu sûre d’elle et de ses équipes qu’elle doit se blinder, être certaine, en prolongeant à l’extrême le parcours candidat… au détriment du postulant.

Ce n’est pas pour rien que Google, en analysant les données de centaines de recrutements, a lâché une bombe dans la blanquette : le fait de mener trop d’entretiens n’a que des effets négatifs. Ils ont ainsi coupé leur nombre de 12 (!) à 4, avec un impact positif sur le “time to hire”, forcément, mais également le taux d’acceptation des offres.

Alors comme Google, faites plus avec moins, et cachez cette pancarte géante qui montre au monde à quel point vous êtes stressé !

Mâcher le travail du recruteur et illusions professionnelles

C’est un peu tiré par les cheveux, mais foncièrement, en demander des tonnes et des tonnes aux candidats, n’est-ce pas là un moyen un peu facile de leur faire faire tout le travail… à la place du recruteur ?

En insistant pour que le poisson s’appâte tout seul, se ferre à l’hameçon, se remonte, se vide et se cuisine tout seul, il ou elle aspire à ce que le candidat fasse tous les efforts.

Or, normalement, ce sont les équipes RH, les managers et autres qui sont censé déceler et révéler le potentiel, lire entre les lignes du CV, du parcours, de la personnalité. C’est leur travail. Et ils le font car il est tout à fait possible d’être un employé hors-pair sans pour autant maîtriser les derniers codes Linkedinniens qui séduisent les recruteurs.

Surtout quand ceux-ci impliquent la création de posts “inspirants” racontant la fois où ils se sont sentis humbles en faisant un salut de la tête à un balayeur, à bord de leur Mercedes.

Remettre le candidat au centre de l'expérience... candidat

Encore et toujours, cet usage vient souligner le décalage total entre le perçu et le réel.

Cela fait penser à cette usine, qui quémande des lettres de motivation hyper personnalisées, pour ensuite répondre -sans rougir- avec des messages automatiques totalement bateau.

Ou ce cabinet comptable de province, obnubilé par l’idée de recruter le prochain Salvador Dali pour créer les slides Powerpoint sur « La liquidité du marché, son interaction avec la politique monétaire et son impact sur l’allocation optimale des portefeuilles financiers ».

Ces entreprises ont perdu le sens de l’équilibre. Du juste milieu. Par pur abus de position dominante.

L’exceptionnel est attendu même là où il n’est pas nécessaire. À l’image d’un recruteur au  Blanc Mesnil SF en National 3, qui déciderait d’aller recruter Kylian M’Bappé. On imagine que c’est techniquement possible, mais l’intérêt est plus que limité.

Pour tout le monde.

Ce n’est pas une humiliation que de savoir quelle est sa place, son positionnement sur le marché du travail.

Au contraire, c’est une leçon d’humilité bénéfique, presque salvatrice.

C’est aussi le premier pas vers une expérience candidat plus humaine, plus bienveillante, plus étendue. Une compréhension des enjeux, et une main tendue vers les candidats pour -enfin- comprendre ce qu’ils attendent d’une entreprise, d’un processus de recrutement.

Quand on y pense, les entreprises qui recrutent le mieux sont celles dont on entend jamais parler, et ce n’est pas un hasard.

Sans ce pragmatisme pour profiter d’un système que l’on sait bancal, sans domination, elles ont acquis cette simplicité dans leur manière de recruter.

Et ce qui est génial, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour changer de bord.

Recruteurs, stop. Arrêtez d’en demander trop aux candidats.
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