article revolte des candidats 2

La révolte des candidats : pourquoi le monde du recrutement ne sera plus jamais le même

14 septembre 2022 |
Les plus grandes révolutions sont parfois les plus silencieuses. Et si beaucoup d’entreprises se sont récemment retrouvées impuissantes face au changement brutal de paradigme dans le monde du travail, c’est avant tout parce qu’elles ne se sont jamais habituées à considérer les processus de recrutement à travers les yeux de ceux qui les vivent réellement.
recrutement,candidats,révolte
Mick Nertomb

Content Manager, YAGGO

On ne s’en rend pas forcément compte à vue d’œil, mais en ce moment même se trame peut-être l’un des plus grands bouleversements de l’ère moderne.

Du moins, en ce qui concerne le monde professionnel.

Car, par amertume, dépit ou simplement par exténuation, toute une génération vient de se soulever pour demander la fin immédiate du règne de terreur imposé par une vision très individualiste de l’accès à l’emploi.

Et cette fois-ci, ils ne céderont pas.

Candidats et salariés unis pour réinventer le monde du travail

Sur Reddit, les deux subs r/recruitinghell et r/antiwork se sont récemment imposés comme de véritables quartiers généraux d’une résistance en pleine phase d’organisation.

Sur le premier, on s’offusque quotidiennement des processus de recrutement ancrés dans le passé. À travers des expériences personnelles, des découvertes, du shaming (beaucoup) et des avertissements sur les employeurs à éviter, environ 350.000 membres relèvent des observations qui deviennent de plus en plus conventionnelles :

– La dégradation de l’expérience candidat globale, la faute à des process imaginés pour uniquement répondre aux besoins des sociétés (au détriment de ceux des candidats)
– Des annonces lunaires aux prérequis totalement déconnectés de la réalité (expérience gigantesque nécessaire sur des posts juniors, salaires bien en deçà du marché, gros red flags sur les cultures d’entreprises…)
Généralisation des assessments et des tests de personnalité qui formalisent la discrimination à l’embauche
– La sensation de ne recevoir aucune considération en tant que postulant (absence de réponse, ghosting, ton irrévérencieux, sentiment de déshumanisation…) alors que les marques employeur prônent des valeurs humaines et bienveillantes

Sur le deuxième, c’est plus globalement la transformation radicale du rapport au travail lui-même qui exaspère : manque de sens, salaires qui ne permettent même plus de survivre, perte d’estime de soi & burnout, percée et conséquences de la hustle culture

Plus de 2 millions de personnes participent à la vie de cette communauté qui est littéralement entrée en guerre contre les entreprises qui dévalorisent salariés et candidats.

Et le mouvement n’est pas près de faiblir.

Rien que sur les premiers mois de l’année 2022, r/recruitinghell a connu une croissance de plus de 78% de son nombre total d’abonnés. De l’autre côté, cette progression vient taper les 279% pour r/antiwork, sur toute l’année 2021 selon HRBrew.

Et cela ne se limite pas à Reddit.

« Du coup, presque par instinct, candidats et salariés se sont retrouvés pour confirmer leurs observations et s’organiser. »

Sur Twitter, sur Tik Tok, sur Discord, où vous voulez en somme, des communautés se forment dans des groupes, autour de listes, via des hashtags. Et toutes mettent en avant ce qu’elles ont en commun, ce qu’elles ont toutes vécu, ce qu’elles ne sont plus prêtes à accepter.

Même Beyoncé s’est muée en icône absolue de la grande démission grâce à un single invitant à privilégier sa vie personnelle à son taf.

Du coup, presque par instinct, candidats et salariés se sont retrouvés pour confirmer leurs observations et s’organiser.

Pour mieux contre-attaquer.

Un impact de l'entre-soi

Bon, ok.

Des communautés se mettent en place, attirent des millions de personnes, s’organisent et partagent des connaissances pour « réveiller » les consciences, montrer que d’autres approches sont possibles, redonner une sorte de souveraineté à celles et ceux qui ne pensaient plus pouvoir en bénéficier, etc…

Ok, cette fois-ci, le mouvement a l’air carrément sérieux. Assez sectaire, mais sérieux. Il y a même moyen que dans 6 mois -ou dans 12- on en parle encore. Voir davantage.

Puis, (re) ok, les impacts de cette prise de conscience sont totalement visibles : tout le monde démissionne + toutes les entreprises galèrent à recruter.

grande démission et difficultés de recrutement

Mais le problème, ce n’est pas cette résistance.

C’est plutôt le fait que beaucoup de boîtes sont totalement inconscientes de son existence. De ce ras-le-bol général et de son ampleur. Des motivations derrière cette prise de pouvoir.

Ainsi, elles assignent leurs difficultés de recrutement à une sorte d’oisiveté générationnelle, à de l’assistanat, à la perte du goût du travail. En gros à tout, sauf à la réalité.

Un voilage de face qui n’est pourtant pas du tout malveillant. Non non.

Car si les entreprises ne comprennent plus leurs candidats, c’est principalement parce qu’elles ne se sont jamais vraiment intéressées à eux.

L’exemple du côté salariat

Aujourd’hui, l’explication derrière la percée de la grande démission et des difficultés de recrutement divise.

Selon une étude de la Dares, les employeurs pensent qu’il s’agit d’une question de pénurie de talents.
Les employés, eux, affirment que le problème est plutôt lié aux conditions de travail : les travailleurs compétents sont là, ils ne veulent simplement plus travailler pour n’importe qui ou dans n’importe quelles conditions.

plus personne ne veut travailler aujourdhui

Cette révélation, dans un monde logique, aurait forcément été suivie par une (grosse) remise en question.

Ce qui fut le cas.

(un peu)

(un chouia en fait)

(mais c’est déjà un début)

En effet, la QVT, et la RSE sont devenues des enjeux majeurs pour les entreprises. Des postes se créent, des politiques se mettent en place, un état d’esprit se développe. Y compris chez ceux qui étaient jusqu’alors perçus comme les plus mauvais élèves de la classe. Et de tout l’établissement.

Tout n’est pas parfait, mais à la minute où le lien concret a été établi entre performance et bien-être, les choses se sont mises à bouger. Et les excuses justifiant l’inaction ont perdu de l’influence.

Maintenant, il suffit donc de faire la même chose, mais avec l’expérience candidat.

Opération reconnexion

Le fait est que les fonctions RH sont souvent très autocentrées, rassemblées en petits comités peu ouverts sur l’extérieur. Sur Linkedin (là où, contrairement à la légende, les candidats ne sont clairement pas), via des communautés ou des conférences, des publications ciblées ou des comptes thématiques.

Les RH sont entourés de RH, de visions de RH, de problématiques RH et de facto, de points de vue de RH. Et c’est ce qui crée l’entre-soi, la déconnexion avec les candidats, et leurs attentes et besoins réels.

Des marques employeur sont ainsi créées pour répondre à ce qui semble attractif pour les équipes de recrutement… et non les vrais postulants.

deconnexion recrutement
"AU FAIT TU SAIS QU'ON PROPOSE DU TELETRAVAIL (UN JOUR DE TT POUR 30 JOURS AU BUREAU) ET AUSSI ON A UN BABYFOOT ET DES TABLES DE PING PONG, PUIS ON VIENT D'OBTENIR LE LABEL SUPER PLACE TO WORK POUR LA 41E ANNEE CONSECUT-"

Et le fait que les grosses communautés de candidats soient encore méconnues de beaucoup de professionnels illustre bien cette dissociation.

Un déséquilibre qui, historiquement n’avait que peu d’importance car l’accès au travail était si indispensable que les postulants s’écrasaient totalement face aux processus. Quels qu’ils soient.

Mais ça, c’était avant.

Si une entreprise envoie un mauvais signal, de mauvaises vibes, un mauvais ressenti par une expérience négative, les candidats refuseront de la rejoindre. Point. C’est leur révolte, leur prise du pouvoir, et elle change totalement la dynamique du marché de l’emploi.

On ne peut donc plus avoir un ensemble de métiers censé faire le lien, censé rapprocher deux entités distinctes, déconnecté d’une partie de l’équation.

Cela mène forcément à la frustration.

Une frustration qui jusqu’alors était silencieuse, ravalée par rancœur, pendant des décennies, jusqu’au moment où elle a finalement pu exploser.

Une explosion pleine de rage qui est en train de bouleverser le monde du recrutement, comme personne n’aurait pu l’anticiper.

Et on a un peu l’impression que l’on n’est qu’au début de cette nouvelle ère.

La révolte des candidats : pourquoi le monde du recrutement ne sera plus jamais le même
SUR LE MÊME SUJET
RESSOURCES YAGGO
Vous prendrez bien un peu de bienveillance dans votre boite mail ?

La Revue Humaine, notre newsletter sur l’actualité RH, tous les Jeudis à 13h.